Depuis mon arrivée en Norvège, le comportement de ses habitants me questionne un peu. Certes, les habitants des pays nordiques ont la réputation d’être discrets, introvertis, voire pas toujours très ouverts. Mais depuis mon installation, je le sentiment de n’avoir créé aucune vraie relation. En tout cas, pas de relation au-delà du simple échange de banalités.
Sans caricaturer, les norvégiens que j’ai pu fréquenter sont en général polis, respectueux, répondent quand on leur parle et peuvent venir en aide si besoin, mais ils m’apparaissent très individualistes, voire indifférents. Ils ne vont pas embêter pour rien, mais ne vont pas non plus venir créer le contact « pour rien ». Ils vont respecter les règles de leur côté mais ne vont pas regarder du tien. C’est parfois un peu frustrant de se sentir invisible dans cette société.
Et puis, je découvris, un peu par hasard, la Janteloven ! Un code de conduite, régissant la vie sociale, une sorte de mentalité commune et qui contient 10 préceptes :
- Du skal ikke tro at du er noe. – Ne pense pas être quelqu’un de particulier.
- Du skal ikke tro at du er like så meget som oss. – Ne pense pas valoir autant que nous.
- Du skal ikke tro du er klokere enn oss. – Ne pense pas être plus intelligent que nous.
- Du skal ikke innbille deg du er bedre enn oss. – Ne t’imagine pas être meilleur que nous.
- Du skal ikke tro du vet mere enn oss. – Ne pense pas en savoir plus que nous.
- Du skal ikke tro du er mere enn oss. – Ne pense pas être plus important que nous.
- Du skal ikke tro at du duger til noe. – Ne pense pas être capable de quoi que ce soit.
- Du skal ikke le av oss. – Ne ris pas de nous.
- Du skal ikke tro at noen bryr seg om deg. – Ne pense pas que quelqu’un fasse attention à toi.
- Du skal ikke tro at du kan lære oss noe. – Ne pense pas pouvoir nous apprendre quelque chose
Et là, tout s’éclaire ! Loin de moi l’idée de généraliser cela à tous les Norvégiens, ni de considérer que les osloïtes sont représentatifs de la population norvégienne dans son ensemble, mais cela peut expliquer les comportements que je constate depuis mon arrivée il y a quelques années.
Le site Un tour à Bergen, nous en propose l’analyse suivante : « Ces ordres, où le « tu » (du) désigne l’individu et le « nous » (oss) le groupe, s’adressent à chacun quant à leur rôle et leur place dans la société. Ils doivent être garants de la primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel et ainsi contribuer à une société égalitaire, que ce soit entre hommes et femmes ou entre différents statuts sociaux. Ils dénoncent toute tentative individuelle de s’affranchir des règles et de se démarquer du collectif, désapprouvent tout sentiment de jalousie et préconisent l’humilité. Personne n’est censé s’élever au-dessus des autres et dicter sa propre loi. »
Alors, preuve d’humilité ? Volonté d’exclusion des autres de son groupe social ? Ce code peut apparaître positif ou négatif. Selon l’angle sous lequel on le regarde, l’applique aux autres et surtout, le subit. Une série d’injonctions qui peut apparaître bénéfique du point de vue du groupe, garantissant son intégrité et sa pérennité, mais qui peut sembler pour les personnes extérieures à ce groupe, excluante. Voire, représenter une forme de xénophobie, dans le sens d’un rejet, d’une peur de l’autre, de l’étranger au groupe (du grec xeno), donc la non prise en compte et la négation de l’altérité, le refus d’accepter l’autre avec ses défauts, mais aussi ses qualités. La négation des apports extérieurs (en terme de connaissances, de compétences, etc.), comme des opportunités, de progresser et de s’enrichir, ensemble.
MKH17
[norsk]
Siden jeg kom til Norge, har atferden til innbyggerne her fascinert meg. Visstnok har innbyggerne i de nordiske landene rykte på seg for å være tilbakeholdne, introverte, og ikke alltid særlig åpne. Men siden jeg flyttet hit, har jeg følt at jeg ikke har skapt noen ekte relasjoner. I alle fall ingen relasjoner utover enkle høflighetsfraser.
Uten å overdrive, fremstår nordmennene jeg har truffet som generelt høflige, respektfulle, de svarer når man snakker til dem og kan tilby hjelp hvis nødvendig, men de virker veldig individualistiske, til og med likegyldige. De vil ikke forstyrre for ingenting, men de vil heller ikke ta initiativ til kontakt « for ingenting ». De respekterer reglene fra sin side, men ser ikke til din. Det kan noen ganger være frustrerende å føle seg usynlig i dette samfunnet.
Så, av ren tilfeldighet, oppdaget jeg Janteloven! Et sett med regler som styrer det sosiale livet, en slags felles mentalitet med 10 påbud:
Og nå blir alt klart! Langt fra å generalisere dette til alle nordmenn, eller å anta at osloittere er representative for den norske befolkningen som helhet, kan dette forklare de atferdene jeg har observert siden jeg kom hit for noen år siden.
Nettsiden Un tour à Bergen gir følgende analyse: « Disse påbudene, hvor ‘du’ refererer til individet og ‘vi’ til gruppen, henvender seg til hver enkelt om deres rolle og plass i samfunnet. De skal sikre prioriteten til det kollektive over det individuelle, og dermed bidra til et egalitært samfunn, både mellom menn og kvinner og mellom ulike sosiale status. De avviser ethvert individuelt forsøk på å bryte reglene og skille seg ut fra kollektivet, fordømmer alt følelse av sjalusi og anbefaler ydmykhet. Ingen skal heve seg over andre og diktere sine egne lover. »
Så, er det et tegn på ydmykhet? En vilje til å ekskludere andre fra sin sosiale gruppe? Denne loven kan virke både positiv og negativ. Avhengig av hvilket perspektiv man ser det fra, hvordan man anvender det på andre og særlig hvordan man selv opplever det. En serie påbud som kan fremstå som gunstige for gruppen, og som sikrer dens integritet og varighet, men som kan virke ekskluderende for de utenfor gruppen. Det kan til og med representere en form for xenofobi, i betydningen avvisning, en frykt for « den andre, » den fremmede i gruppen (fra gresk xeno), som fører til at man ikke tar hensyn til og benekter annerledeshet, og nekter å akseptere den andre med sine feil, men også med sine kvaliteter. Negasjonen av eksterne bidrag (i form av kunnskap, ferdigheter osv.), som muligheter for å utvikle seg og berike seg, sammen.
MKH17
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Tout étranger résidant depuis de longues années en Norvège fait le constat qu’il est très difficile de nouer des amitiés sincères et profondes avec des Norvégiens. L’isolement « affectif » des étrangers en Norvège est un sentiment généralement partage: «prison dorée», «société mentalement froide», etc., sont des constats qui reviennent souvent dans les milieux expatries.
Le film » Le festin de Babeth » réalisé par Étienne Chatiliez en 1995 peut être compris comme une illustration de la « Janteloven ». En effet le film souligne l’importance de l’humilité et du collectivisme, en décourageant l’individualisme et le particularisme de chaque individu, même et peut être surtout si cet individu est un étranger au passé dense et riche comme Babeth dans le film. (Son passé en tant qu’institutrice durant la Commune de Paris lui confère une profondeur historique et personnelle, et sa passion pour la cuisine comme moyen d’expression et de partage reflète le contraste entre ses idéaux et les valeurs plus traditionnelles et conservatrices de la communauté dans laquelle elle s’installe).
Le festin final, dans le fim, est une critique radicale de l’étroitesse d’esprit (et d’un certain racisme larvé ?) des villageois enfermés dans les precepts de la Janteloven et incapable de voir les qualités de l’étranger qu’ils hébergent.
Plus généralement, le film interroge la manière dont la différence, donc tout ce qui est étranger, peut être perçue dans un milieu où le conformisme chauvin est la norme. Cela peut même se traduire par un racisme subtil, où les différences sont mal ou pas acceptées.
Rencontrer l’étranger et vouloir le connaître authentiquement, ne présuppose-t-il pas de se mettre en situation de traiter l’autre en égal, et donc d’aller à l’encontre des 10 commandements de la Janteloven ?
Nombreux sont les Norvégiens qui reconnaissent souffrir de cet état d’esprit caractérisé par une froideur et distance sociale.
Une tentative d’analyse de la mentalité norvégienne, est bien illustrée dans le petit livre humoristique (mais sérieux) de Julien S. Bourrelle («The Social Guidebook to Norway, An Illustrated Introduction, Nordmenn, En illustrert innføring).
Une satire du conformisme exacerbé de la société norvégienne contemporaine est également très bien exprimée dans le film Den brysomme mannen (réalisé par le cinéaste norvégien Jens Lien. 2006). Le film utilise l’humour noir pour critiquer le conformisme et l’ennui de la société norvégienne contemporaine. À travers ses personnages et ses situations absurdes, il met en lumière les pressions sociales qui poussent les gens à se conformer à des normes strictes et souvent étouffantes.
Le film illustre comment cette culture du conformisme peut mener à une vie sans passion ni originalité, créant des personnages qui cherchent désespérément à s’affirmer tout en étant entravés par les attentes de leur communauté. C’est une exploration pertinente des tensions entre l’individualité et le collectif, similaire à ce que l’on peut voir dans Le Festin de Babeth, mais avec un ton plus satirique et incisif.
Cette critique du conformisme dans la culture norvégienne résonne avec l’idée que, tout en valorisant l’égalité, la société peut parfois négliger les aspirations individuelles et la diversité.
Le Rétif
[norsk]
Alle utlendinger som har bodd lenge i Norge, opplever at det er svært vanskelig å knytte ekte og dype vennskap med nordmenn. Den « følelsesmessige isolasjonen » av utlendinger i Norge er et generelt delt følelses, og uttrykk som « gullbur, » « mentalt kaldt samfunn, » osv., er observasjoner som ofte gjentas i expat-miljøer.
Filmen Le Festin de Babeth, regissert av Étienne Chatiliez i 1995, kan forstås som en illustrasjon av « Janteloven. » Filmen fremhever viktigheten av ydmykhet og kollektivisme, og avskyr individualisme og særpreg hos enkeltindivider, selv — og kanskje særlig — når dette individet er en utlending med en rik og variert bakgrunn som Babeth i filmen. (Hennes fortid som lærer under Pariskommunen gir henne en historisk og personlig dybde, og hennes lidenskap for matlaging som et uttrykksmiddel og delingsverktøy reflekterer kontrasten mellom hennes idealer og de mer tradisjonelle og konservative verdiene i samfunnet hun slår seg ned i).
Den avsluttende festmiddagen i filmen er en radikal kritikk av den trangsyntheten (og en viss latent rasisme?) til landsbyboerne som er fanget i Jantelovens prinsipper og som ikke er i stand til å se kvalitetene til den fremmede de huser.
Mer generelt stiller filmen spørsmål ved hvordan forskjeller, og alt som er fremmed, kan oppfattes i et miljø hvor sjåvinistisk konformisme er normen. Dette kan til og med manifestere seg som subtil rasisme, der forskjeller blir dårlig eller ikke akseptert. Å møte en utlending og ønske å bli kjent med dem på en ekte måte forutsetter ikke at man behandler den andre som en likemann, og dermed går imot Jantelovens ti bud?
Mange nordmenn erkjenner at de lider av denne holdningen preget av kulde og sosial avstand.
Et forsøk på å analysere den norske mentaliteten illustreres godt i den lille humoristiske (men seriøse) boken av Julien S. Bourrelle, The Social Guidebook to Norway, An Illustrated Introduction, Nordmenn, En illustrert innføring.
En satire av det ekstreme konformismen i det moderne norske samfunnet kommer også veldig godt til uttrykk i filmen Den brysomme mannen( regissert av den norske filmskaperen Jens Lien i 2006. Filmen bruker svart humor for å kritisere konformismen og kjedsomheten i det norske samfunnet i dag. Gjennom sine karakterer og absurde situasjoner belyser den de sosiale pressene som får folk til å tilpasse seg strenge og ofte kvelende normer.
Filmen illustrerer hvordan denne konformismekulturen kan føre til et liv uten lidenskap eller originalitet, og skaper karakterer som desperat prøver å hevde seg mens de er hemmet av forventningene fra sitt samfunn. Dette er en relevant utforskning av spenningene mellom individualitet og kollektivet, likt det man ser i Le Festin de Babeth, men med en mer satirisk og inntrengende tone.
Denne kritikken av konformisme i den norske kulturen resonnerer med ideen om at, selv om likhet blir verdsatt, kan samfunnet noen ganger forsømme individuelle aspirasjoner og mangfold.
Le Rétif